dimanche 4 janvier 2015

Un peu de lenteur ...

Par Timothée de Fombelle

L'été durait une vie entière. Je me souviens que lorsque je quittais la ville pour partir en grandes vacances, je laissais derrière moi toute notion du temps. L'année scolaire s'était refermée. L'été devenait une sorte d'archipel sans début et sans fin. Je ne planifiais rien. Il suffisait de s'écrouler le soir avec le soleil et de repartir le matin, à l'aventure.
Aujourd'hui, je trouve de plus en plus difficile de s'arrêter. Sans être bien vieux, je me dis parfois que ce doit être l'âge ... Avec les années, la pente semble déjà forte, et les freins bien usés. Mais en cherchant les vraies raisons, je réalise que c'est plutôt la machine du temps qui s'emballe. Le rythme de la vie, des transports, des communications crée un appel d'air auquel il est difficile de résister. A la vitesse où l'on va, impossible d'apercevoir ceux qui ne sont pas dans ce mouvement, tous ceux qui avancent plus lentement. Ce ne sont que des visages flous, sur le côté.
Même la torpeur de l'été peine à nous arrêter.
Il y a deux semaines, je revenais seul en train de Sarrebruck. Longeant une autoroute, je vois un panneau annonçant Paris à 150 kilomètres. Je me jette sur mon téléphone et envoie un message chez moi : J'ARRIVE.
Je prends alors conscience qu'une diligence aurait mis deux jours pour ce reste de trajet. Avec mon train rapide, je pouvais être à Paris une demi-heure plus tard. J'allais donc me réjouir de ce progrès qui nous autorise à nous rendre en Allemagne pour la journée et à revenir aussitôt, de cette époque qui permet de compresser tant d'expérience dans si peu de temps, lorsque tout à coup j'aperçois une fumée étrange par la vitre.
Un instant plus tard, le train s'arrête.
Nous sommes en pleine campagne. Un champ de peupliers s'étend jusqu'à un petit bois. Le ciel est sombre. Quelques minutes passent. Une voix nous demande de descendre. Des échelles ont été mises devant les portières. On se disperse joyeusement dans l'herbe. Mon wagon continue de fumer.
Nous sommes restés là 3 heures. C'est un souvenir inoubliable. Comment raconter la petite fille qui improvisa un air de clarinette devant les trois cents passagers, l'orage qui nous obligea à nous réfugier sous un pont, les applaudissements délirants quand un jeune allemand traduisait les consignes des pompiers français ?
Trois heures. Trois heures à ne rien faire. Personne n'a pensé à se plaindre. On était bien. On parlait. On regardait les gens. Le train s'était arrêté dans sa course folle et la lenteur du temps reprenait sa place.
Lorsque je suis arrivé à Paris, je me suis rappelé les retours en pleine nuit après les longues vacances d'été. J'avais l'impression d'être le petit garçon endormi au fond de la voiture et qui entend, quand s'arrête le moteur de la voiture :
- On est arrivés à la maison. Réveille-toi, l'école reprend demain .